Objectif des Journées d'Études

La censure se redéfinit constamment à l’ère des sociétés de l’information, où les échanges toujours plus nombreux circulent à une vitesse inédite et où les frontières entre public et privé s’estompent. Qu’il s’agisse d’un effacement de contenus en ligne, d’une restriction d’accès aux archives, d’une pression sur les chercheur·es ou d’un contrôle algorithmique des plateformes, la censure interroge l’équilibre nécessaire entre sécurité, éthique et liberté d’expression. Les journées d’étude du DDAME proposent en 2026 d’explorer les multiples aspects de la censure, les questions qu’elle soulève, ses acteurs et les conséquences sur la démocratie, la science, la culture et la mémoire collective.

Résumé

Se situant à l’intersection de la régulation légitime et de l’arbitraire, la censure est parfois justifiée par la protection des mineur·es ou la lutte contre la désinformation et la haine en ligne. Dans ses exemples les plus flagrants, et identifiés historiquement (Martin, 2022), la censure a servi d’outil de répression politique et de manipulation de l’opinion. Dans d’autres cas, elle permet de mettre en place les protections nécessaires à un public vulnérable (cf. les restrictions d’accès à des contenus pornographiques pour les mineur·es). Il peut alors devenir difficile de distinguer la censure d’une modération nécessaire. Les cadres juridiques qui encadrent ces pratiques en France, en Europe et aux États-Unis sont constamment remis en question. La loi française contre les fake news de décembre 2018 ou le Digital Services Act européen d’octobre 2022 illustrent ces tensions, tout comme les débats récurrents autour de la modération des réseaux sociaux, de Twitter-X à Facebook (Badouard, 2022).

Les actions des plateformes numériques (GAFAM - Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft - et d’autres telles que Tik-Tok ou Twitter-X) et les décisions des États jouent un rôle majeur dans la définition des conditions de production et d’accès à l’information. Les capacités du numérique à contrôler la diffusion de l’information, l’opacité des algorithmes, les politiques de modération controversées ou les outils de filtrage complet (cf. le ‘Grand Firewall’ en Chine) soulèvent des questions essentielles : qui décide de ce qui est visible ou invisible ? De quelles voies disposent alors les citoyen·nes, les journalistes et les chercheur·es pour remettre en question ou contourner ces mécanismes ?

La censure est souvent présentée comme l’antithèse de la liberté d’expression, un droit considéré comme garanti par les États démocratiques. Pourtant, dans un contexte de polarisation sociale et politique, de multiplication des discours de haine et de dérégulation des plateformes numériques, certain·es appellent à un encadrement plus strict. Ces impératifs contradictoires peuvent être difficiles à concilier. Les discussions récentes autour de la proposition de loi européenne ‘ChatControl’ (2022), qui imposerait aux fournisseurs de messageries chiffrées de scanner l’ensemble des messages échangés dans le but de lutter contre la pédo-criminalité, ont souligné les conséquences et les dérives possibles d’un projet de loi pouvant être appliqué au-delà de son cadre initial. Ces débats font ressortir à la fois les risques d’une société sans garde-fou ou, à l’inverse, d’une société hyper-contrôlée.

Les archives et les bibliothèques, lieux par essence de mémoire et de diffusion de la connaissance, ne sont pas épargnées par la censure. Aux États-Unis, la seconde administration Trump procède à la destruction de documents d’archives, digitaux ou physiques, au nom de la restauration de l’histoire, et met en place une censure académique (Bachert-Peretti, 2024) tandis que des groupes de parent·es appellent à bannir des ouvrages des bibliothèques publiques et scolaires. En France, la concentration croissante des maisons d’édition et des journaux dans les mains de quelques milliardaires entraîne déjà la mise en avant et la diffusion de contenus orientés politiquement au détriment d’un pluralisme de l’information.

Ces pratiques façonnent-elles notre rapport au passé, au présent et à la connaissance ? La censure des archives coloniales en France (Chamelot, 2022), les actions de manipulation électorales (cf. le scandale Facebook-Cambridge Analytica en 2018 ou de Tik-Tok en Roumanie en 2024) et les accusations de ‘cancel culture’ ou dewokisme’ (Schnitzler, 2025) en témoignent.

La science et la recherche, enfin, ne sont pas non plus à l’abri de la censure (Martin, Fort, Micoulaud-Franchi, 2025). Les chercheur·es travaillant sur des sujets sensibles font régulièrement l’objet de pressions politiques et des conférences sont annulées, parfois préventivement, par crainte des controverses. Ces phénomènes menacent l’intégrité de la recherche et, par extension, restreignent l’accès à des savoirs essentiels pour une société démocratique. La protection de l’indépendance scientifique est aujourd’hui remise en cause dans de nombreux pays. Les attaques contre les climatologues, la censure des recherches sur le genre ou le covid-19, ou encore les restrictions budgétaires ciblant certaines disciplines, rappellent l’urgence de défendre la liberté académique.

Les journées d’étude 2026 du DDAME offrent une occasion unique de croiser les savoirs et les expériences, de questionner les pratiques contemporaines de la censure et d’imaginer des pistes pour défendre les libertés fondamentales. Nous attendons des contributions variées, théoriques comme empiriques, afin d’éclairer les enjeux de la censure dans nos sociétés et d’en mesurer les conséquences sur la démocratie, la culture et la science.

Axes de réflexions

Axe 1 : Périmètre des censures et temporalités

  • Histoire, évolutions et géographie de la censure

  • Censures a priori ou a posteriori ? Directe ou indirecte ?

  • Censures et problématiques d’accès et/ou de production ?

  • Censures, idéologies et liberté d’expression, liberté de création

Axe 2 : Pratiques de la censure : faire taire

  • Censeurs, de qui parle-t-on ? Quels acteurs / actrices pour quelles censures ?

  • Rôles et mécanismes de censure et d’autocensure chez les acteurs / actrices public·que·s et privé·es

  • Objets censurés : traductions, informations, images, œuvres, etc.

  • Les formes de censure : désinformation, manipulations, silences, etc.

  • Les algorithmes dans l’accès et la censure de l’information sur le web

Axe 3 : Résistances face aux censures

  • Stratégies de résistance et de contournement de la censure

  • Éducation à l’information : comment enseigner les mécanismes de censure et d’autocensure ?

  • Censures et législations

  • Quantifier, mesurer les censures

 

Bibliographie

Bachert-Peretti, Audrey. « Liberté académique et pressions politiques aux États-Unis : entre silence et violence, l’université sous tension ». Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, no 4 (2024) pp.5‑9.https://hal.science/hal-04943755.

Badouard, Romain (2022). « Réseaux sociaux : les nouveaux chemins de la censure ». Mouvements, 112(4), pp.37-146. https://doi.org/10.3917/mouv.112.0137.

Chamelot, Fabienne (2022). « Secrets d’archives coloniales ou gouvernement en perte de contrôle ? Retour sur l’IGI 1300 ». Critique d’art. Actualité internationale de la littérature critique sur l’art contemporain, no 58 (juin 2022), pp.136-156. https://journals.openedition.org/critiquedart/91854.

Martin, Laurent (2022). Histoire de la censure en France. Presses Universitaires de France, 2022.https://doi.org/10.3917/puf.marti.2022.01.

Martin, Vincent P., Fort Karën et Micoulaud-Franchi, Jean-Arthur (2025). « Latrumplang, instrument de destruction de la pensée : analyse de l’impact de la censure trumpiste sur la recherche en santé mentale  ». In Actes de la 32ème Conférence sur le Traitement Automatique des Langues Naturelles (TALN), volume 1 : articles scientifiques originaux, pp. 477-487, Marseille, France. ATALA \\& ARIA, 2025. https://aclanthology.org/2025.jeptalnrecital-taln.29/.

Schnitzler, Laurence (2025). « Cancel culture : une nouvelle censure ? Rétrospective sur une guerre idéologique ». Plasticité. Revue d’étude des poétiques et pratiques de la plasticité dans la littérature et dans les arts, no 6 (juin 2025).http://interfas.univ-tlse2.fr/plasticite/1138.

Soumissions et Échéances

Les propositions de communication sont à envoyer, sous la forme d’un résumé de 300 mots maximum, accompagné de 3 à 5 références bibliographiques et de 3 à 5 mots-clefs, ainsi que d’une courte bio-bibliographie à Martin Lentschat. Les présentations retenues feront l’objet d’une présentation orale de 30 minutes et seront suivies d’un temps d’échange.

Contact : martin.lentschat@univ-tlse2.fr

Calendrier prévisionnel :

Date limite de réception des communications : 30 janvier 2026

Date de retour aux auteurs : 16 février 2026

Chargement... Chargement...